Je suis passé à l’ère 100% numérique pour mes voyages SNCF. J’ai installé l’application SNCF pour disposer du billet électronique et je viens de m’inscrire en ligne pour y ajouter mon abonnement.
C’est très pratique, je n’ai plus besoin d’imprimer mon billet avant le voyage, ni de le retirer à un guichet, ni même de le composter. De plus lors du passage du contrôleur, ce qui ne manque pas d’arriver, je n’ai plus à bousculer le compagnon de voyage situé à ma droite pour accéder à mon sac afin d’y retrouver la fameuse carte d’abonnement que j’ai inévitablement égarée au fond de mon sac.
Au final, c’est un vrai gain de temps pour le voyageur pressé que je suis parfois.
Hier, j’ai voulu échanger mon billet pour prendre un train précédent. Auparavant, avec le mode papier, je ne me posais pas la question puisque la SNCF avait inclus une règle simple, à savoir la possibilité avec l’abonnement de monter dans le train précédent ou le suivant avec le même billet papier, à condition de le composter évidemment et d’aller voir le contrôleur pour qu’il affecte une place.
Mais là, avec la version numérique, comment procéder ?
Je consulte mon appli sur mon smartphone, et hop, en un clic je vois un bouton « échanger son billet » . Et là illico, je clique.
J’ai eu mon premier moment de solitude quand après la demande d’échange, le sablier virtuel très agaçant s’est mis à tourner en rond indéfiniment !
Comme il y a un contrôle sur le quai pour rentrer dans le train, sans billet en règle, impossible de monter dans le train sans que l’échange ne soit obtenu.
Auparavant, la bonne vieille méthode qui consistait à monter dans le train quoiqu’il arrive puis avec un grand sourire s’enquérir auprès du contrôleur de la régularisation de son titre de transport ne posait rarement de difficultés. Mais là, devant mon sablier, dans le hall de la gare, un instant je me suis imaginé rester planté là avec cet outil du 21ème siècle, sans pouvoir partir pour cause de technologie avancée. La belle avancée du progrès !
Après des minutes qui m’ont parues des heures, j’ai finalement obtenu un message, votre échange a été accepté. Ouf ! je vais pouvoir prendre le train précédent.
Euh ! et si l’échange n’avait pas été accepté, fini ! Aucune solution, je me vois mal discuter et négocier avec mon smartphone alors qu’avec un peu de compréhension, un dialogue sur la situation avec mon contrôleur aurait à coup sûr débloquer…la situation. Le voyage devient booléen. En fait tout ce que tu pouvais faire auparavant avec quelques mots échangés avec un humanoïde de chair et d’os n’est plus possible. Te voilà condamner à vivre en mode binaire, noir ou blanc.
Je m’installe, mon smartphone m’indique que je suis en voiture 6 place 124.
Le contrôleur vient à passer. Comme la procédure de dématérialisation de l’abonnement est très récente, il ne manque pas d’annoncer aux grands voyageurs ignorants avec courtoisie et un brin de fierté qu’il est possible désormais de « mettre l’abonnement sur votre carte ». La fierté est d’autant plus savoureuse, je le devine, qu’il la dû supporter les ricanements à répétition des grands voyageurs amusés quand la SNCF avait fait la moitié du chemin du billet « électronique ». Le contrôleur bipait le billet sur ton smartphone mais devait ensuite demander ton abonnement papier et tu devais déranger ton voisin pour récupérer celui-ci dans la veste juste au-dessus dudit voisin. Tu ne le sais peut-être pas, mais l’abonnement dans sa forme papier ne peut se loger dans ton portefeuille tellement le format est grand. Alors que tout se miniaturise, se dématérialise, le support de l’abonnement est aussi grand qu’une affiche ! Du coin de l’oeil j’observe le manège et le regard incrédule du premier grand voyageur qui a dû mal à visualiser visiblement que son abonnement papier va pouvoir s’afficher sur sa carte. Imagine un instant, expliquer cela à ta grand-mère qui n’a pas connu avant de partir la téléphonie mobile, c’est à peu près la tête du voyageur, une tête que ferait ta grand-mère en te répliquant la formule désormais légendaire de la publicité qui a réussi son slogan, « mais bien sûr, et en plus je vous mets un paquet cadeau ».
Le contrôleur, agacé devant l’incompréhension du voyageur qui met à mal sa fierté avec laquelle il allait enfin pouvoir en remontrer sur la modernité de la SNCF ironise en lâchant la réplique qui n’appelle plus aucun commentaire, c’est très simple, vous allez sur internet.
Je ne sais pas si tu as déjà remarqué, mais la propension à simplifier la vie qu’apporterait internet est incommensurable et impossible à contester tant il devient ringard d’en douter. Le voyageur devant un tel truisme, dans un hochement de tête forcé, finit par lâcher « bonne idée, j’irais sur internet » comme quelqu’un qui dirait qu’il irait sur la lune.
Intérieurement, je souris, car l’internaute informé que je suis a déjà dématérialisé son abonnement SNCF « fréquence ». Le contrôleur est à moins de deux rangées de siège. En fait il est juste à côté. Je sors mon smartphone, et j’ouvre l’application SNCF pour afficher mon billet « électronique ». Las, je retombe sur le syndrome du sablier !
Nous sommes passés sans même s’en apercevoir sur le tronçon dit à grande vitesse. Le TGV vogue à 200 noeuds vers un port imaginaire.
Je souris doublement en imaginant justement la tête fière du contrôleur quand il va me demander mon titre de transport.
Il arrive, je lui fais remarquer que je suis un voyageur léger et que tout est dans mon smartphone… Mais que la technologie a quelque limite, non pas la vitesse de la lumière mais la vitesse du TGV qui paradoxalement ralentit dans une proportion inverse quasi exponentielle le délai de réponse du smartphone. Le contrôleur à qui je montre le sablier qui tourne toujours en rond me fait « çà va venir ». Sauf que rien ne vient. Il finit par me demander penaud ma date de naissance. Là c’est moi qui suis incrédule. J’affiche ostensiblement un regard « mais bien sûr monsieur, je vous l’emballe avec un paquet cadeau ». Je lui donne donc ma date de naissance et comprend qu’il lui est plus facile avec son stylet de tapoter quelques chiffres sur son terminal plutôt que de tenter de saisir un nom de famille.
Il a d’un coup la banane, Pyrome, c’est cela ? je réponds oui et il la déjà tourné les talons, fièrement.