Auteur/autrice : pyrome
20 minutes
20 minutes, c’est l’annonce qui vient d’être faite*..
Non, ce n’est pas le titre du gratuit distribué chaque matin aux bouches de métro, non, c’est la durée, 20 minutes…
J’entre donc, la pénombre se glisse, enfin à peine, le soleil a disparu, seuls restent les néons qui distillent une lumière sans âme.
Je me suis recroquevillé au fond de mon siège, la tête appuyée contre la vitre devenue sombre et je me suis endormi comme un bébé.
Je suis un bébé de la mère nourricière, au beau milieu de ce ventre bleu et rond, rond comme une orange bleue. Les bruits alentours se font sourds, comme un roulis répétitif, ploum ploum… ploum ploum…ploum ploum…
Ce n’est pas vraiment un battement de coeur, mais çà doit y ressembler, en tout cas, c’est un tempo qui rythme la traversée.
Oui, c’est sûr, cette vie embryonnaire n’est qu’un passage. Le claustrophobe dirait un enfer, un passage d’enfer, un passage éphémère.
Depuis le début de cette gestation programmée, je me suis aperçu que je n’étais pas seul, ici les embryons sont nombreux, un ventre très hospitalier, ou alors une FIV qui a été détournée, bref, il y a une foule d’embryons par ici.
Ou alors, ou alors, je ne sais pas, c’est une ruche très fréquentée et nous ne sommes que des futures ouvrières, toutes alignées.
Hum! Je ferme les yeux, et je suis seul dans le grand bleu, d’ailleurs je lève les yeux (oui, faites un effort, je peux parfaitement fermer les yeux tout en les levant) et j’entrevois un liquide tout bleu, cela doit être çà le liquide amniotique.
En revanche, côté cordon, c’est carrément l’émancipation, une nouvelle génération, après le bébé éprouvette, le bébé autodépendant…de là à imaginer une génération spontanée, il faudra se référer au manuel d’histoire dans quelques années
Ah! C’est dingue, mais j’y pense là, bêtement, je suis dans une gestation programmée qui ne peut pas être prématurée. 20mn c’est 20 mn.
Pire, le seul évènement qui puisse m’arriver en termes de terme (vous suivez), c’est de ne pas naître à terme, être postmaturé. J’espère n’être jamais dans ce cas de figure, pour être plus précis, j’espère naître jamais dans ce cas de figure. De toute façon, tout cela n’est à prendre qu’au figuré, vous l’avez compris.
Je souris!
Vi, un embryon qui sourit, c’est du bonheur pour la vie.
Je souris donc! Je viens de rêver que nous sommes entrées en gestation pour 20mn avec une maman elle même enceinte! T’imagine, çà fait double embryon (pas double emploi). Bon d’accord c’est tiré par les cheveux, mais quand même, je vous jure, en y réfléchissant, c’est un peu comme les poupées russes.
Ah! Vous voyez, de suite, vous êtes plus dans mon histoire.
J’aurai pu vous faire le coup de l’échographie, allez, puisque vous me le demandez si gentiment.
Donc, au-dessus ne nos têtes, circulent foules satellites, dont l’un baptisé « materspot » qui circule en géostationnaire. Et donc le « materspot » prend toutes sortes de clichés, mais surtout, sous la houlette de l’équipe du professeur Patercheck, les clichés baptisés hysterographies, une forme ultramoderne des échographies.
L’usage était maintenant très répandu. Il suffisait d’être chez soi, connecté sur un PC en wifi, de s’identifier sur le site www.materspot.patercheck.org, et automatiquement le satellite « materspot » localisait le pc, hysterographiait la personne qui se trouvait devant l’écran en cours de connexion, analysait l’image numérique et retournait sur votre PC l’image numérique en quadrichromie et en 3D sur un écran 2D: L’imagerie de votre bébé.
On n’arrête pas le progrès, d’ailleurs j’ai fait moi-même l’essai, mais vu que je suis un homme le diagnostic m’a été fatal et sans appel, « pathologie inconnue de père inconnu ». Je n’ai plus jamais recommencé, j’ai eu peur. Il parait même qu’il y a des satellites militaires encore plus performants. Ce sont des rumeurs, mais sait-on jamais!
La rumeur dit que ces satellites ultra perfectionnés peuvent faire une hysterographie des testicules, dans le jargon ce serait une scrotographie. Scrotographie, scrotographie, scrogneugneu oui!
Du coup, j’ai revendu mon PC wifi pour éviter tout malentendu, (vu que je m’étais connecté sur masterspot, que mon IP était répertorié comme père inconnu, avec les grandes oreilles, on ne sait jamais).
Enfin vous comprenez, je n’avais pas vraiment envie que la cartographie de ma descendance virtuelle soit scrotographiée à mon insu.
Revenons au satellite « masterspot »… L’équipe du docteur Patercheck avait étendu le service à toute vie embryonnaire sur terre. C’est ainsi qu’en ce moment, à 25 km sous terre, nous étions hysterographiés.
Cela permettait à l’équipe du docteur Patercheck de constituer une base de données du vivant. L’équipe avait mis en évidence que l’utérus virtuel placé à 25 km sous terre avec des individus adultes circulant dans le dit utérus simulait parfaitement une hysterographie naturelle à la surface de la terre. En d’autres termes, nous étions isomorphes à des embryons.
CQFD pour ceux qui en doutaient encore, mon histoire tient parfaitement debout. Depuis le début je vous explique que je suis comme un bébé au fond de mon siège.
Tiens, le soleil m’éblouit, l’accouchement a eu lieu sans douleur, une arrivée par le siège.
Goblin, lutin hystérographe.
* Entre Douvres et Calais, l’eurostar met approximativement 20 minutes pour traverser.