Un jeudi 13

Capture d’écran 2015-09-07 à 22.42.50Jeudi 13 août

Un treize empreint d’une odeur de superstition s’affiche sur l’icône de
mon agenda.
Je suis parti, tôt, le train file à grande vitesse, logique, c’est même
dans son patronyme, comme une définition.
Dehors, la température a chuté, juste un peu. Le ciel s’est drapé dans un
voile gris bleuté. Le soleil est juste caché, derrière ces quelques nuages
tirés comme une persienne italienne. Dedans, malgré l’air conditionné, je
ne perçois pas du tout cette fraîcheur vivifiante qui tape au carreau.
J’ai envie d’appuyer sur pause et de sortir dans les champs juste
moissonnés. Le temps d’une balade pieds nus dans le chaume doré, humer
l’air, respirer.
Prendre le temps, lentement, sentir la rugosité des restes de paille sous
la plante des pieds, compter les balles rondes comme on compte les moutons
et perdre mon regard loin à l’horizon.

Il va faire beau en ce jour du 13.

Mon boucher

Mon boucher est un boucher atypique.
Il n’est pas vraiment « commerçant », plutôt artisan.
Son établissement l’a vu grandir en culottes courtes (enfin je présume). Tout est carrelé de haut en bas, avec des crochets un peu partout, un billot aussi vieux que sa devanture.
Une vitrine digne de la « DDR », si si si !
Pas de chichis, ni persil, ni décoration, pas de jolies présentations, non, juste une vitrine, un espace pour la caisse en marbre excusez du peu.
Les affiches datent comme sa vitrine des années 70 au moins.
Pourtant, il n’a pas l’air si vieux (comprendre qu’il est plus jeune que moaaaaaaa, ou à peine 😉 )
Une petite moustache, une blouse de boucher, un pantalon de boucher (tu sais, avec ce motif … petits carreaux), il te demande: « et pour vous ? »
Je lui réponds: « de la viande ! »
« Vous êtes au bon endroit ».
Je regarde les crochets orphelins, cela doit faire des années qu’aucune carcasse n’a été accrochée là !
Alors je regarde dans la vitrine réfrigérée, des plats en aluminium gris, un peu terne, et une belle viande!
J’ai envie de lui dire, de faire quelque chose, d’améliorer juste un peu sa présentation, de mettre un peu de couleur… Parce que franchement, si je n’étais pas entré par hasard un jour de grisaille, s’il ne m’avait pas servi une viande à tomber par terre, probablement que jamais je n’aurai fréquenté sa boucherie du temps passé.
A mon avis rien n’a changé depuis 40 ans ou 50 ans.
Même sa machine pour faire les steaks hachés. Un outil manuel de A à Z, où il met la viande hachée sur des morceaux de papier sulfurisé, et dans un tour de main réglé comme du papier à musique, en deux allers retours, hop! Le steak haché emballé, avec un clic clac digne du percussionniste de l’orchestre de Paris.
Quand tu commandes ta viande, tu peux entendre les mouches volées. D’ailleurs, il n’y a pas de mouches!
« Et avec ceci ? »
Il va choisir lui même sa viande au marché d’intérêt national (MIN) qui n’en est pas un. Une bizarrerie administrative sans doute.
Quand tu lui parles de la qualité de sa viande, du conseil pour choisir un morceau, il a l’œil qui pétille d’un coup. Cela dure une demi-seconde, il faut être à l’affût, car l’homme est un taiseux.
Sa viande parle pour lui, mais personne ne le sait, sa devanture n’en parle pas non plus et la bouchère qui passe de temps à autre avec un col roulé à la Duras ne pipe mot ! Une atmosphère de confessionnal.
Chacun se tient en file indienne.
L’autre jour, je me rends à sa boucherie, je pousse la porte et manque de me prendre un magistral coup dans le nez !
La porte est fermée!!!
LA veille de Pâques !!!
Quelque chose ne tourne pas rond…
Je recule, et je vois sur la vitrine « immeuble à vendre » tracé à la main, de la même écriture que ses étiquettes pour afficher « bavette » ou « tournedos ».
Je m’approche, la boucherie est vide. De colère mon boucher a dû déménager dans la nuit, en ne laissant rien. Maaaaaaaaaaaaaaa!!! Une boucherie qui aurait pu être classée, vide, plus rien.
Il n’aura tenu que 6 mois, de l’autre côté de la rue, à deux pas, une toute nouvelle boucherie flambante neuve, genre décoration de pâtissier-chocolatier (si!), une boucherie couleur pistache et taupe à la Valérie Damidot, toute pimpante, avec une vitrine affriolante, des couleurs, un boucher loquace, une bouchère affable se sont installés à la fin de l’année dernière.
Je suis resté coi, sur le trottoir, un peu groggy. Je me suis frotté les yeux, mais je ne rêvais pas!
Je suis triste, j’ai dû me rendre chez le nouveau boucher au sourire carnassier autant qu’avenant.
Mais où est-il ? Si vous croisez une vieille boucherie avec une très vieille vitrine, un boucher qui ne parle pas et qui vous sert une viande divine, alors c’est lui! Il faudra me dire où je peux le retrouver.

Fin de soirée

Tôt le matin
L’aube n’est pas encore levée.
Dehors il fait mi nuit, mi jour.
Le TGV roule au ralenti, il n’est pas encore chaud.
Sur la banquette, la seule de toute la rame, un habitué s’est déchaussé.
Un habitué en chaussettes s’est allongé pour finir sa nuit emballé dans un manteau trop grand pour la saison.
A côté de moi, un jeune hacker pianote quelques lignes de code sur son PC, emballé lui aussi, avec un ruban jaune fluo « Police line, do not cross the line ».
Je suis plongé dans mes courriels que la carte 3G veut bien distiller.
Dehors, le ciel est rose.

Première gare, quelques voyageurs à peine éveillés rejoignent la voiture.
L’un d’entre eux accroche mon regard.
Il porte des chaussures vernis noires, un costume 3 pièces rayé, un peu comme un parrain sicilien.
La première surprise, c’est que l’homme n’a conservé que deux pièces de son costume! nan! Il a gardé son pantalon mais c’est la veste qu’il ne porte pas, il est entré comme çà, en bras de chemise.
Pourtant le fond de l’air est frais, il a dû sortir un peu rapidement d’un cabaret au bout de la nuit et oublier sa veste.
Ou alors c’est une personnalité illustre du show biz qui sort de scène dans son costume qui monte vers la capitale.
Immanquable!
Il laisse dans son sillage un effluve digne des meilleures pubs pour l’eau de toilette « axe ».
Je regarde vers le fond de la voiture, mais non, je ne vois aucune gent féminine.
Il porte le vêtement près du corps.
ll porte aussi des lunettes immenses, noires avec des branches larges et rayées comme son costume 3 pièces qui n’en a que 2. En fait c’est un homme distingué voire raffiné, il a assorti ses lunettes à son costume et c’est la troisième pièce.
Il porte le cheveu « geai », gominé avec du « Pento ».
Des pattes fines, un peu comme une célèbre virgule, lui caressent le visage.
Un profil à la ‘Henri-Jean Servat ».
L’homme regarde nulle part.
L’homme est vraiment très raffiné, je viens de m’apercevoir qu’il porte une chemise unie assortie au ciel du dehors. Sa chemise est rose pâle comme le ciel !
Rose et noir.
Terminus, tout le monde descend, je le suis du coin de l’œil. L’homme sort, sans bagages, juste un énorme sac à main noir sous le bras. Et non, il sort en bras de chemise; d’un bon pas.

Un peu plus loin sur le quai, il croise un autre voyageur avec une gueule d’aventurier genre « Harison Ford », ils s’embrassent comme font les stars sur les plateaux de télévision.
Une star, c’est sûr.